Pentecôte 2015 : Homélie de Mgr Scherrer

  • Posted on: 27 May 2015
  • By: David J

Pentecôte à Pontmain
Dimanche 24 mai 2015

Frères et soeurs,

C’est un « scoop », une merveilleuse nouvelle que je voudrais vous annoncer sans plus tarder : nous avons trouvé la fontaine de jouvence, ce lieu de renouvellement et de rajeunissement des corps et des esprits dont les hommes sont en quête depuis l’aube des âges. N’allez plus la chercher dans les livres de mythologie ou dans les contrées les plus reculées de notre terre ! La fontaine de jouvence est ici en ce lieu, et c’est la Vierge Marie qui en est la gardienne. Cette fontaine de jouvence n’a rien de magique, elle est une puissance d’amour offerte à nos libertés de fils et de filles de Dieu et capable d’irriguer et de féconder tous les déserts du monde. C’est une source vivifiante qui coule en nous depuis le jour de notre baptême. Cette fontaine de jouvence est Quelqu’un : c’est l’Esprit Saint en personne, cet Esprit dont le Christ ressuscité nous a promis l’effusion et qui s’est emparé du coeur de ses apôtres au jour béni de la Pentecôte.

Autour de Marie, notre Mère, qui nous rassemble en ce lieu, frères et soeurs d’une même et grande famille diocésaine, nous voulons invoquer d’un coeur unanime le don du renouvellement de notre baptême et de notre confirmation dans la puissance de l’Esprit. Nous sentons bien que l’enjeu de cette effusion est immense. En ces temps incertains où le désarroi s’empare de beaucoup de nos concitoyens, où le risque de déshumanisation guette nos sociétés oublieuses de Dieu, tandis qu’en Orient et en bien des parties de notre monde, des chrétiens sont persécutés au nom de leur foi, nous, chrétiens d’Occident, nous sommes appelés à donner un signe plus fort et plus courageux de notre appartenance au Christ et à l’Église. Or seule une nouvelle effusion de l’Esprit pourra secouer notre torpeur, réveiller nos consciences assoupies, nous arracher à la tiédeur d’une existence médiocre et faire de nous des braises incandescentes capables de répandre le feu de l’amour sur la terre. « L’Église, disait le bienheureux Paul VI, a besoin d’une éternelle Pentecôte. Elle a besoin de feu dans le coeur, de parole sur les lèvres, de prophétie dans le regard ».

1. L’Église « a besoin de feu dans le coeur ». C’est la condition principale d’une foi contagieuse et joyeuse. Il n’y a pas d’évangélisation possible, en effet si, nous les baptisés, nous ne brûlons pas du feu de l’amour du Christ. Aussi, c’est la première chose que je vous invite à demander avec moi à l’Esprit Saint : la grâce du transpercement du coeur. Que nous soyons bouleversés par l’amour de Jésus pour nous ! Que nous puissions regarder la croix rouge ensanglantée que nous montre Marie en ce lieu pour y reconnaître le signe, la preuve que Dieu nous aime infiniment plus que nous pouvons l’imaginer. Seule une amitié régulière avec Jésus, entretenue par la prière quotidienne et la grâce des sacrements, nous fera percevoir à quel point Dieu nous aime à la folie. Seul un coeur à coeur avec lui nous fera mesurer le prix que nous avons à ses yeux, et nous ferons nôtres alors, avec une immense gratitude, ces paroles de l’apôtre Paul : « Il m’a aimé et s’est livré pour moi ». Comprenons-le : ce n’est pas de dire aux autres que Dieu existe qui les fera croire en Lui, c’est de leur témoigner de la manière dont le Christ, concrètement, a transformé chacune de nos vies. Parmi les confirmands de ce jour, beaucoup justement sont témoins d’un Dieu d’amour qui est venu les rejoindre au coeur d’une existence difficile et même parfois bien cabossée. Ils ont expérimenté de quelle manière la rencontre avec Jésus avait fait de chacun d’eux des hommes et des femmes nouveaux. Ils ont compris qu’en accueillant la force de l’Esprit Saint, ils ne pouvaient pas être chrétien à moitié, ils ne pouvaient pas être les adeptes d’un « christianisme light ». Car Jésus n’est pas venu pour améliorer un tant soit peu nos vies « normales » marquées par la routine et le repli sur soi. Il est venu bousculer et transformer radicalement notre existence. C’est ce qui nous manque peut-être le plus aujourd’hui : des hommes et des femmes qui puissent témoigner de la libération opérée par le Christ, des hommes et des femmes qui puissent nous dire comment le Christ a bouleversé leur vie en ouvrant dans leur pauvreté un avenir et une espérance.

2. L’Église « a besoin de parole sur les lèvres », dit encore Paul VI. C’est notre mission de baptisés-confirmés que de proclamer dans la joie la Bonne Nouvelle de l’Évangile. Mais comment la parole serait-elle sur nos lèvres si le mutisme nous gagne par peur du regard des autres ou du qu’en dira-ton ? C’est vrai qu’aujourd’hui, au nom d’une conception dévoyée de la laïcité, on nous enjoint de nous taire ; on voudrait que notre foi se cantonne dans le domaine privé. Et peut-être que, sans nous en rendre compte, nous nous laissons enfermer dans ce piège. Et puis, c’est vrai, il y a la violence présente en notre monde et qui nous porte à nous replier sur nous-mêmes au lieu de rayonner paisiblement notre foi. Quand saint Paul justement, dans la lettre aux Galates, parle d’affrontements entre la chair et l’Esprit, il ne fait que nous alerter sur les obstacles intérieurs à nous-mêmes qui stérilisent notre témoignage de baptisés. Aussi, la deuxième chose que je vous invite à demander avec moi à l’Esprit Saint, c’est que nous soyons libérés de nos peurs. Il se trouve que la ville de Laval avait organisé en début d’année un grand ramassage des peurs, un grand ménage pour débarrasser les habitants de leurs peurs. En différents lieux de la ville, les lavallois pouvaient y consigner leurs phobies et leurs craintes. Je trouve cette idée particulièrement suggestive et je me dis qu’il n’y a pas meilleure opportunité que ce rassemblement pour déposer au pied du Seigneur tout ce qui nous fige, nous paralyse et entrave en quelque manière notre libre capacité de témoigner et d’aimer. Saint Paul nous dit encore : « Ce n’est pas un esprit de crainte que Dieu nous a donné, mais un Esprit d’amour, de force et de maîtrise de soi » (2 Tim 1,7). Il n’y a pas de renouveau possible pour des communautés craintives qui se barricadent dans leur tour d’ivoire. Alors supplions l’Esprit de faire sauter les verrous de la peur. Qu’il nous fasse passer du coeur craintif de l’esclave au coeur rempli d’amour filial. Qu’il nous donne d’oser des réconciliations entre nous dans nos familles, nos lieux de travail, avec nos voisinages. Qu’il vienne à bout de cet individualisme tenace qui nous empêche d’aller vers les autres et de bâtir ensemble une Église de la Fraternité.

3. L’Église « a besoin de prophétie dans le regard », dit enfin Paul VI. Le prophète, le vrai, n’est pas celui qui a une boule de cristal et qui prédit l’avenir, c’est celui qui regarde le monde avec les yeux de Dieu. C’est la troisième chose que nous pourrions demander ensemble à l’Esprit Saint : que nous apprenions à tout voir dans la clarté de l’Esprit et que, dans cette lumière, nous sachions repérer les « non-lieux » de nos villes ou de nos campagnes, tous ces espaces de déshumanisation qui attendent d’être habités par l’amour. Il n’est que de  lire en effet les journaux, d’écouter les informations, de marcher dans les rues pour voir la multitude de ceux et celles, frères et soeurs en humanité, qui vivent aux périphéries existentielles, et ils sont tellement nombreux ! Ces frères et soeurs, ce sont les tout-petits dont nous parle Jésus dans l’Évangile, autrement dit tous ceux à qui l'on ne fait pas attention, tous ceux qui n'ont pas droit à la parole, ceux dont on n'attend rien, qui n'ont aucun pouvoir, aucun moyen de se faire valoir et de se faire entendre, qui se sentent abandonnés et exclus. Comme je voudrais que nous portions sur eux un regard de justice, de bonté, de compassion, de miséricorde ! Comme je voudrais que nous nous laissions emporter par le grand courant de l’amour jusqu’à les rejoindre jusqu’au fond de l’abîme où ils sont tenus prisonniers ! Comme je voudrais que notre Église diocésaine soit une Église passionnée par l’homme, une Église qui offre le baume apaisant de l’Évangile là où apparaissent, les blessures, les fractures, les meurtrissures du corps et du coeur !

Esprit Saint, descend sur cette assemblée réunie et renouvelle pour elle le prodige d’amour que tu as accompli le jour de la Pentecôte. Viens, visite, emplis le coeur de chacun ! Nous avons besoin de toi, Esprit de bonté, pour que nos communautés engendrent des nouveaux baptisés à la vie de Dieu. Nous avons besoin de toi, Esprit de fidélité, pour que nos familles soient d’authentiques écoles de l’amour et que, solidement arrimées à la foi et à l’espérance, elles aient la force de résister à la pression des idéologies ambiantes. Nous avons besoin de toi, Esprit d’audace, pour que nos jeunes soient convaincus qu’un engagement de tout leur être et pour la durée de toute une vie est possible. Nous avons besoin de toi, Esprit de lumière, pour que la sève de l’Évangile irrigue véritablement nos existences jusqu’à leur donner leur pleine fécondité missionnaire. Nous avons besoin de toi, Esprit de sainteté, pour que, par un engagement résolu de tout nous-mêmes, nous sachions répondre au projet éternel de Dieu sur chacune et chacun de nous.

Frères et soeurs, mes amis, à la Pentecôte, le feu de l’amour de Jésus a embrasé le monde entier en partant de l’intérieur de son humanité. Ce feu aspire à se propager aujourd’hui encore par le témoignage de nos vies. C’est notre mission à tous ! Notre vocation de baptisés est de réchauffer le monde au feu de l’amour du Christ. Alors, n’éteignons pas la flamme qui brûle en nous. Soyons les tisons, les brandons que notre monde attend !

+ Thierry SCHERRER
Evêque de Laval